La méthode d’entraînement en aïkido est souvent mal comprise, tant par les débutants que par les pratiquants d’autres disciplines. Que croit-on voir ? Que les échanges sont chorégraphiés, les réactions stéréotypées, les attaquants conditionnés à tomber. En somme, l’aïkido ne fonctionnerait qu’entre aïkidokas bien dressés.
Et tout cela est vrai, dans une certaine mesure. Dans une certaine mesure, car il s’agit là en effet de la caricature, du dévoiement d’une pédagogie particulière qui est parfois mal comprise par les pratiquants d’aïkidos eux-mêmes.
Quel est le cœur de cette pédagogie ? C’est de considérer que celui qui attaque puis reçoit la technique, aïte, fait de l’aïkido de la même manière que tori qui exécute la technique. Les échanges entre tori et aïte ne miment pas un combat, avec un gagnant et un perdant, un plus fort et un punching-ball passif, l’un qui résiste et l’autre qui « doit passer ». Ils travaillent tous deux, dans le même mouvement, des compétences et qualités identiques de chaque côté du miroir qu’est la forme technique.
Dans ce cadre, le rôle d’aïte est le plus complexe à tenir. Il doit d’abord attaquer correctement. Pas trop fort pour ne pas déborder les débutants et leur laisser la chance d’apprendre à leur rythme. Mais pas sans intention au risque de laisser tori se faire des illusions sur l’efficacité de sa technique.
Ensuite, il doit accepter, tout en s’en protégeant, la réponse technique de tori, qui peut être brutale, maladroite ou fine selon son niveau. Accepter, cela veut dire aussi que tori doit pouvoir placer ses frappes, les atemi, sans les retenir et qu’aïte doit savoir s’en protéger, les esquiver, s’en échapper. Bref, aïte doit garder le contrôle de la situation, en permettant à tori de travailler, de sentir pleinement la forme technique, tout en préservant sa propre sécurité.
Et ainsi aïte progresse également : il apprend à évaluer la dangerosité de son partenaire, mieux, à la sentir dans son corps ; à rester souple sous la contrainte parfois douloureuse de la technique, à se fondre dans le timing de tori, à voir les ouvertures pour s’échapper, soulager la contrainte ou neutraliser la technique. Il travaille de son côté les qualités d’adaptation et de sensibilité propres à l’aïkido.
On comprend ainsi pourquoi, dans les anciennes écoles martiales, ce rôle « du perdant » était systématiquement tenu par le pratiquant le plus expérimenté.
Mais cette méthode « gagnant-gagnant », pourrait-on dire en employant un vocabulaire moderne, suppose une attention et une honnêteté particulières pour ne pas devenir complaisante. Et elle le devient trop souvent, tant la facilité nous tend les bras. Alors il s’agit d’y revenir, de l’expliquer encore et encore, de faire son autocritique, d’être conscient de ce que l’on fait vraiment plutôt que de ce que l’on croit faire.
Et, au fait, à quoi nous sert cette méthode ? À apprendre à nous adapter à toute situation. Ainsi, lorsque des débutants, ou des personnes voulant tester, arrivent au dojo, avec leurs réactions de « non-aïkidokas », ne restons pas secs, inefficaces, enfermés dans nos routines tout en leur assénant, confrontés à l’échec de notre technique et à la rigidité de notre mental, qu’ils sont en tort, car ils n’ont pas réagi de la bonne manière. Rien de tel pour qu’ils tournent les talons, se joignent au chœur de ceux qui disent que l’aïkido, c’est n’importe quoi. Et ils auraient alors raison !
Au contraire, profitons-en pour voir si nous avons appris quelque chose. Guidons-les, maîtrisons-les, adaptons-nous à eux, sortons du cadre et montrons-leur, en respectant leur intégrité, que « ça marche » avant toute chose. Exercice délicat, mais qui permet clairement de savoir où on en est ! Et peu à peu, une fois convaincus, il sera alors temps, et seulement alors, de leur expliquer que l’entraînement sera pour eux plus profitable, plus enrichissant et sécurisé s’ils adoptent la méthode propre à l’aïkido plutôt que d’avoir mal, d’encaisser des frappes ou de mal tomber.
Ce sera le premier pas pour sortir du combat et du rapport de forces. Ce qui est le cœur de notre discipline et constitue, à terme, la véritable efficacité.